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BLACK BONES

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On pourrait vous renvoyer à Mid90s, le film de Jonah Hill dans lequel un jeune kid de la banlieue de Los Angeles trace son chemin initiatique en intégrant une clique de skateurs hirsutes au mitan des années 90. On y entend la face B du Wave of Mutilation de Pixies, une version jouée au ralenti à laquelle on a accolé (UK Surf) pour la distinguer du titre plus rapide et cogneur présent sur l’album Doolittle. Le parallèle peut sembler hasardeux, mais la trajectoire d’Anthonin Ternant, éminence grise du groupe Black Bones, est aussi une affaire de cinoche, de bande et de rock alternatif.
La scène se passe au début des années 90, dans cette bonne vieille ville de Reims. Il se souvient : “Au collège, comme beaucoup de jeunes, je faisais du skate. En arrivant au lycée, mes potes se sont mis à jouer de la guitare et j’ai suivi pour rester dans le groupe. C’était les débuts de Lenny Kravitz, du retour de Jimi Hendrix et du film d’Oliver Stone sur les Doors. Moi, les Doors, je m’en foutais. On sortait des années 80, de Guns N’ Roses, tout ça et je ne me voyais pas là-dedans. Et puis on est allé voir le film Albert Souffre, de Bruno Nuytten, au cinéma. Toute la B.O, c’était les Pixies. Une musique que j’avais l’impression de connaître depuis toujours, qui me parlait. J’ai toujours su que je ne serai jamais ni Tony Hawk ni Slash. Y’avait un truc méga simple, t’avais l’impression que c’était super facile de faire de la musique”.
Galvanisé, il monte un premier groupe ; il s’appellera New Deal, comme la marque de skateboard. A l’époque, Anthonin glande pas mal. Le type est un créatif, au lycée on le retrouve dans une section spécialisée en arts appliqués, puis à l’Ecole Supérieure d’Art et de Design de Reims quelques années plus tard, avant de filer dans une fac d’art, à Amiens. Il rembobine : “Pendant toute cette période, aucun groupe ne sortait de Reims. Ecouter Pavement, Dinosaur Jr et Sonic Youth, c’était comme écouter des trucs qui venaient d’une autre planète. Ça semblait inaccessible. Mais c’était aussi l’époque du lo-fi, donc avec un quatre pistes, tu pouvais sortir des trucs à la Daniel Johnston”.
Quelques années de glande plus tard, Anthonin Ternant se retrouve soudeur de câble au studio Césaré, après une formation de technicien du spectacle effectuée à la Cartonnerie, l’iconique salle de concert de Reims. Même s’il a ciré les bancs des écoles d’art (pas que ce soit une vocation, c’est juste qu’il n’était pas mauvais dans cette discipline, nous dira-t-il), l’idée qui lui trotte dans la tête, c’est de devenir musicien. Ça tombe bien, la ville semble se réveiller de ce côté-là. En 2009, un certain Pierre-Alexandre Busson, plus connu sous le nom de Yuksek, sort son premier album. Derrière lui, une floppée de talents s’apprêtent à faire main basse sur la pop made in France, dont un certain Guillaume Brière (The Shoes), sous l’impulsion duquel sera monté les Bewitched Hands, dont Anthonin sera le co-leader aux côtés de Benjamin Pinard : “Le truc, c’était de réunir des musiciens de Reims qui n’avaient jamais joué ensemble. Il y a toujours eu des projets à un ou deux, mais personne n’avait vraiment joué ensemble”, confie Anthonin.
Bien vu ! Le groupe, bénéficiant du rayonnement international d’un Phoenix qui vient de remporter un Grammy, va remettre la pop française sur les rails, mais dans la langue de Lou Barlow cette fois. Birds & Drums, le premier album des Bewitched Hands sort en 2011 et c’est un carton. Vampiric Way, le suivant, ne connaîtra pas le même succès. La pop, aussi insatiable et imprévisible qu’elle a toujours pu l’être, s’est francisée sous les coups de butoir synthétiques d’un Lescop et des claviers acides de La Femme. À la suite de cet échec, la clique rémoise planche sur un nouvel album qui ne sortira jamais.

La gueule de bois après le split du groupe sera de courte durée pour Anthonin, qui manigance déjà quelque chose. Un projet dont il serait le grand orchestrateur et dans lequel il pourra insuffler les idées les plus saugrenues traversant sa caboche de fan de Ween, duo foutraque et prolifique formé en Pennsylvanie par Dean et Gene Ween, préfigurant les dingueries tous azimuts de Black Bones : “j’aimais les groupes qui faisaient de belles mélodies, des trucs très mélancolique, et qui en même temps pouvaient avoir le sens de l’humour. Prendre de la distance par rapport à l’histoire de la pop et s’en moquer. Ce qui est vachement le cas de Ween, qui est capable de faire un morceau sur le SIDA sur fond de musique de fête foraine !”.
Vingt ans après le suicide de Kurt Cobain, en avril 2014, les Bewitched Hands mettaient la clef sous la porte. L’été suivant, Anthonin avait déjà formé son nouveau groupe et à la fin de l’année Black Bones claquait son premier concert sur une scène lilloise. En 2017 sortait Kili Kili, un premier album qui, comme le souligne Ternant, ressemble à la direction que son groupe précédent aurait pu prendre. Comme une sorte de compilation avec un pied dans le passé et l’autre dans le futur. Réunie autour d’Anthonin, on retrouve une équipe du crue, constituée en plein milieu du vivier rémois. En plus de l’ex-Bewitched Hands et co-frontwoman Marianne Mérillon, on croise à la batterie Odilon Horman, musicien inspiré, également aux manettes du projet psych-garage Chester Remington : “le meilleur truc sorti de Reims depuis longtemps”, nous rencarde-t-il. Et, alternant la basse et le clavier selon les morceaux, Ludovic Caqué et Samuel Allain, rencontré alors qu’il faisait le régisseur aux studios Césaré.
Les conditions pour faire partie du groupe ? Être présent, savoir utiliser son instrument et, surtout, s’amuser. Au début, cette joyeuse clique la joue équipe de baseball en teddy façon college US, sur une scène flanquée de têtes de mort et casiers de vestiaire d’université américaine, donnant à Black Bones des allures de gang mexicain, éclairé par une lumière noire. Kili Kili à peine sortie, Ternant et ses luchadores retournent en studio. Dans le prolongement de l’esthétique mystique, médiévale pop et fluo de Wolf Under the Moon et Angel (projets parallèles de Ternant), la bande file à deux reprises dans un ancien couvent transformé en résidence pour artistes, à quelques encablures de Reims, dans la petite localité de Saint-Erme-Outre-et-Ramecourt.
“Pour la petite histoire, il paraît que ce lieu hébergeait une secte dans les années 80. T’as un peu l’impression d’être dans un asile de film d’horreur, rien n’est rénové, tout est hyper brut. Il y a des escaliers et des pièces où il semble que personne n’ait jamais mis les pieds”, rigole-t-il. Certains morceaux mis en boîte par le groupe durant cette période ont été écrits durant l’été 2016, d’autres sont plus récents. Pour retranscrire l’atmosphère sépulcrale du lieu, Anthonin met la main sur une pédale d’effet, la POG, qui, combinée à un space echo et un chorus de guitare flanqué par-dessus, offre au disque un son ample et large. Comme s’il était joué dans une cathédrale. Une sorte fil rouge en forme de mantra psalmodié, pour une technique bricolée dans la plus pure tradition DIY, conférant à Ghosts & Voices cette aura fantasmatique si représentative de Black Bones. Pour se faire une idée plus précise du procédé, on peut se passer l’intro de I’m a Believer, où la combinaison pédale-chorus-clavier fonctionne à merveille. Dead Skies, quant à lui, convoque la mélancolie sur des airs enjoués, marque de fabrique des chansons signées Ternant, quand Creepy Rain et sa guitare ska, se veut sautillante. Une guitare ska ? “Ouais, je sais pas pourquoi, c’est vrai que ça revient souvent alors que je déteste ça. La filiation est peut-être à chercher du côté des références hispaniques des Pixies”, rigole Anthonin. On en revient toujours aux fondamentaux.

 
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